Cet automne, le Gouvernement du Québec faisait démolir le barrage de Petit-Saguenay pour des questions de sécurité, celui-ci commençant à s’effriter sérieusement. Au moment où la faune et la flore reprennent leurs droits sur la rivière Petit-Saguenay, nous en profitons pour souligner l’histoire d’un morceau important de notre patrimoine.
Le barrage de Petit-Saguenay, résultat d’une vaste mobilisation
Le 24 mai 1945, Maurice Duplessis fait adopter la loi de l’électrification rurale, qui accorde notamment des fonds pour la construction de barrages hydroélectriques et de réseaux de distribution dans les zones rurales qui ne sont pas encore desservies. C’est l’Office de l’électrification rurale qui chapeaute les développements.
Alors que les zones urbaines profitent du service de distribution d’électricité depuis des décennies, le Bas-Saguenay demeure pour sa part dans le noir. Profitant de l’opportunité présentée, la Coopérative d’électricité de Petit-Saguenay et de L’Anse-Saint-Jean est donc créée le 21 février 1949, avec Joseph Houde de Petit-Saguenay comme président – poste qu’il occupera pendant toute la durée de l’aventure – et Napoléon Bouchard de L’Anse-Saint-Jean comme vice-président.
Dès le mois de juin, plus de 18 000 $ en souscriptions provenant de 150 membres sont déjà amassés et les travaux de construction du barrage de Petit-Saguenay, d’abord estimés à 50 000 $, sont entamés. La construction s’étalera finalement sur plus d’un an et coûtera 165 000 $, dont 28 000 $ seront investis par les membres de la Coop, le reste étant assumé par l’Office de l’électrification rurale.
Le Bas-Saguenay entre dans la modernité
À l’inauguration du barrage le 4 septembre 1950, les villages de L’Anse-Saint-Jean et de Petit-Saguenay sont déjà desservis par le réseau et ont même désormais des lumières de rue. Dès l’année suivante, le réseau est étendu aux municipalités de Rivière-Éternité et Saint-Félix-d’Otis. L’implantation du service de téléphone suivra rapidement dans toutes les municipalités au cours des années suivantes.
Tous les foyers qui désirent profiter du service doivent devenir membres de la coopérative, dont la part sociale s’élève à 130 $, ce qui représente une coquette somme pour l’époque. Charité chrétienne oblige, plusieurs ménages sont tout de même admis gratuitement, pour cause de veuvage ou de maladie grave. Les tarifs résidentiels étaient alors de 3,50 $ pour un bloc de 30 kWh, plus 0,03 $ par kWh pour les 70 kWh suivants et 0,01 $ du kWh pour toute consommation excédentaire.
L’arrivée de l’électricité dans la région était non seulement synonyme d’amélioration de la qualité de vie des ménages, mais également de développement économique. Les scieries se convertissent à l’électricité, les fromageries peuvent améliorer leur productivité et les épiceries découvrent les bénéfices de la réfrigération. De fait, l’électrification coïncide avec le développement rapide de l’économie de la région et l’amélioration des conditions de vie de la population.
La demande croissante amène la Coopérative à construire un second barrage sur la rivière Saint-Jean en 1957. À cette époque la demande augmente à un rythme de 12 à 15 % par année et des turbines au diésel sont utilisées pour pallier la sous-capacité des installations. Les interruptions de service sont régulières, parfois même sur plusieurs jours, de sorte que le raccordement avec la Société d’électricité de Saguenay est effectué en 1964 pour répondre à la demande.
La nationalisation de l’électricité marquera la fin de l’aventure de sorte que la Coopérative d’électricité de Petit-Saguenay et de L’Anse-Saint-Jean, comme 45 coopératives du même type au Québec, sera liquidée au profit d’Hydro-Québec en 1965 pour la somme de près de 197 000 $ qui servira à payer les dettes et les parts sociales. La nationalisation arrive à point, puisque les inondations de novembre 1963 avaient fortement endommagé le barrage de Petit-Saguenay et celui-ci était hors d’usage depuis.
Démolition du vestige
La longue inactivité du barrage pendant plus de 5 décennies a fait son œuvre, de sorte que le Centre d’expertise hydrique du Québec a jugé qu’il devait être démoli. En effet, le béton s’effritait et l’ouvrage présentait un risque pour la sécurité publique. Les coûts de sa réparation et de sa remise en fonction n’ont pas été évalués, compte tenu qu’Hydro-Québec accumule les surplus d’énergie.
Le gouvernement du Québec a donc octroyé un contrat de 287 300 $ par appel d’offres à la compagnie DemAction de Rivière-du-Loup pour sa démolition. La démolition s’est terminée au mois d’octobre dernier et aura finalement coûté 265 530 $. Tous les travaux ont été réalisés avec la sécurité publique en tête et afin d’avoir le moins d’impact possible sur l’environnement, notamment pour la population de saumon.
Aujourd’hui, la rivière Petit-Saguenay retrouve son état naturel, elle qui a déjà été entravée par trois barrages différents : celui du Club des Messieurs, celui de la Coop d’électricité et celui d’Hermas Houde plus en amont. Certains se désoleront de la perte d’un patrimoine très symbolique dans le milieu. La vie aquatique, elle reprendra ses droits sans trop se poser de questions.