Le bénévolat : un don de soi ou une contribution collective ?

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La chorale Au Chœur des générations de Rivière-Éternité porte bien son nom puisqu’elle peut compter sur belle participation des jeunes du village.

Nos milieux sont vivants, ils foisonnent d’organismes et comités qui font de la qualité de vie au Bas-Saguenay une valeur sûre. Et si cette effervescence existe, c’est bien souvent grâce à l’implication bénévole de nombreuses personnes. Ces dernières années, on s’aperçoit que la relève dans ce domaine devient un enjeu de première importance.

La moyenne d’âge des bénévoles augmente, comme celle de la population d’ailleurs, et les jeunes ne semblent pas vouloir prendre le relais. Est-ce parce qu’ils ne sont tout simplement pas intéressés à l’avenir de leur communauté ? Est-ce que les conseils d’administration sont prêts à leur faire de la place ? La notion de don de soi fait-elle trop référence à une époque chapeautée par le clergé où l’esprit de sacrifice était de mise ? Bref, qu’en est-il de l’avenir du bénévolat dans nos sociétés modernes ? Mais surtout peut-on, dans les milieux ruraux comme le nôtre, se passer de la participation bénévole ?

Pour Sonia Simard, adjointe administrative et communautaire à la municipalité de Rivière-Éternité, « c’est certain qu’il est de plus en plus difficile de trouver des jeunes pour faire du bénévolat, mais il faut prendre en considération que l’âge médian à Rivière-Éternité est de 49 ans. De jeunes bénévoles sont impliqués dans le comité 12-18, à la fête d’halloween, ils décorent la maison des horreurs, dans la chorale Au chœur des générations, il y a 6 jeunes qui participent aux répétitions tous les vendredis soirs. À la friperie, ce sont encore des jeunes qui y travaillent à tour de rôle le jeudi soir et l’argent récolté sert pour les voyages de fin d’année des classes de 5  et 6. À bien y penser, on les voit quand même souvent nos jeunes ! »

Sonia Simard remarque cependant que ce n’est pas le même genre de bénévolat. Maintenant, les gens sont prêts à donner un coup de main de temps en temps mais beaucoup moins veulent s’engager pour les réunions. À Rivière-Éternité, il y a tout de même 27 organismes ou comités qui peuvent compter sur une centaine de bénévoles et lors du forum de novembre dernier, plus de cinquante personnes se sont rassemblées pour échanger des idées et des projets.

Même son de cloche à L’Anse-Saint-Jean où Patricia Daigneault travaille comme coordonnatrice au centre communautaire La Petite École : « Chaque année, on organise un brunch des bénévoles au Mont-Édouard. On limite les invitations à 4 personnes par comité et avec sa trentaine d’organismes, le brunch 2016 de novembre dernier a accueilli une centaine de personnes. Je crois que c’était en 2012, se souvient Patricia, on avait fait le calcul et l’action bénévole dans la municipalité représentait alors pas loin de 14 000 heures. »

L'Anse-St-Jean remercie ses bénévoles
21 plaques de remerciements ont été remises lors du brunch des bénévoles de L’Anse-Saint-Jean.

« Avec le comité famille, l’école de musique qui compte un bon nombre de jeunes bénévoles, l’implication de Noëlle-Émilie comme présidente du CA à la Maison des Jeunes, les différents comités qui vitalisent le milieu en organisant des événements comme le Défi L’Anse Flamme ou le Festizen en Folie, des comités qui existent depuis longtemps comme  la fabrique ou le Symposium des Villages en couleurs, on peut même dire sans exagérer que le bénévolat fait partie intégrante de l’histoire du village, conclut celle qui d’ailleurs n’est pas en reste du côté des heures bénévoles. »

Avec 7 associations de lac (qui regroupent des bénévoles et des propriétaires riverains) et 9 organismes communautaires, la municipalité de Saint-Félix-d’Otis vit une tout autre réalité. Arlette Claveau, présidente depuis 23 ans des Bénévoles de Saint-Félix s’explique : « Les jeunes ne veulent pas prendre de responsabilités et les nouveaux arrivants de Saint-Félix, ce sont surtout des retraités, alors au début ils veulent se la couler douce ! Cela prend 3 ou 4 ans avant qu’on puisse aller les chercher. »

La mission des Bénévoles de St-Félix répond à des demandes de la population (soutien moral, transport, accompagnement, vaccination pour les poupons, Moisson Saguenay, etc.) Sept bénévoles assurent une permanence tous les matins dans les locaux du CLSC et la moyenne d’âge de l’équipe dépasse les 70 ans. « La femme qui fait les transports en voiture à Chicoutimi ou à Jonquière pour les rendez-vous médicaux, elle va avoir 80 ans, poursuit madame Claveau. Alors l’hiver, elle est moins partante ! Heureusement, on a un deuxième bénévole, un homme qui vient compléter l’équipe de transport. »

Jeannine Simard et Arlette Claveau dans les locaux du CLSC de Saint-Félix-d’Otis.

Arlette Claveau a l’impression que si elle s’en va, c’est tout l’organisme des Bénévoles de Saint-Félix qui arrêterait de fonctionner. Jeannine Simard, présidente de la FADOQ de Saint-Félix, semble partager ce point de vue : « À l’assemblée générale de la FADOQ, il y a une bonne participation, toujours une quarantaine de personnes, mais aucune ne veut s’impliquer. Pourtant le bénévolat, j’aime ça, j’en ai toujours fait dans ma vie, mais comme on n’est pas nombreux, on s’essouffle vite. » Celle qui croit que donner de son temps tient notre santé mentale en forme pense également qu’il y a plusieurs raisons qui poussent un individu à le faire : elles peuvent être sociales, communautaires ou personnelles. « Le bénévolat est un don de soi librement consenti et gratuit. Il permet de participer au mieux être de la collectivité, à un projet commun. »

Si le bénévolat permet de construire ensemble une collectivité meilleure, pour quelle raison est-il si difficile de trouver une relève ? Est-ce que les jeunes sont de simples égoïstes individualistes désintéressés de leur propre avenir ? Ont-ils perdu toute motivation collective ? D’après Éric Dufour, consultant chez Raymond Chabot, Grant Thornton,  la situation est tout autre. En effet, celui qui travaille avec des entreprises municipales ou des OSBL en tant que spécialiste de la question de la relève, qu’elle soit bénévole ou entrepreneuriale, envisage l’avenir sous d’autres paramètres : « Les jeunes ne sont pas moins travaillants, ce n’est pas qu’ils ne veulent pas aider, c’est qu’ils sont totalement différents ! C’est tout simplement ça ! » Pour Éric Dufour, c’est un défi de génération que le Québec vit actuellement, autant dans le privé que pour le communautaire.

«La génération des baby boomers aime prendre des décisions, aime le pouvoir, le leadership : un président très fort dans une organisation peut autant nuire qu’aider !» poursuit monsieur Dufour en affirmant qu’il faut absolument s’assurer de changer nos modes de gestion. « Les générations d’aujourd’hui sont différentes, il faut qu’elles se sentent impliquées, responsabilisées ! Mais surtout, il faut arrêter de critiquer les jeunes ! Il faut plutôt changer notre mode de gouvernance, revoir notre structure organisationnelle, pour s’assurer que l’effort que l’on va demander va respecter les valeurs des nouvelles générations ! »

Éric Dufour fait le tour du Québec pour travailler avec les organisations sur le dossier de la relève bénévole.

D’après monsieur Dufour, les réunions à 19h30, cela ne fonctionne plus. Il y a d’ailleurs de plus en plus d’employeurs qui acceptent de libérer leurs employés pour faire du bénévolat. On peut aussi se retrouver de 4 à 6 ou durant le lunch ! « Prenons l’exemple de quelqu’un qui travaille chez lui, qui fait du télétravail et il y en a de plus en plus, illustre Éric Dufour. Cette personne là a besoin de faire du social, de se réaliser du côté des relations humaines, mais pas dans la vieille formule du don de soi ! Si on veut qu’elle s’implique, il faut que ça rejoigne ce qui l’épanouit ! »

« Les jeunes sont souvent autodidactes, ils ont une vision et ils ont besoin de projets, de se sentir impliqués, d’avoir de nouveaux défis. Alors il faut revoir les rôles et responsabilités, et pourquoi pas le terme même de bénévolat. Pourquoi ne pas plutôt parler de contribution collective, conclut celui qui lorsqu’il était président de la chambre de commerce avait fait voter une résolution pour forcer l’intégration des jeunes dans les CA des sociétés d’état. On impose un nombre minimum de femmes sur un CA, dorénavant il y aura également un nombre de jeunes. »

Du haut de ses 12 ans, Étienne Belleau, résident des Plateaux à L’Anse-Saint-Jean, semble illustrer parfaitement le propos de monsieur Dufour. Entendre ce jeune homme parler de ses déjà nombreuses expériences bénévoles donnerait même plutôt confiance en l’avenir. « À l’école, il y a un bac à compost juste à côté de l’endroit où on lave les cabarets, mais pas grand monde l’utilisait, alors je me suis proposé pour faire un petit rappel auprès des élèves pendant l’heure du dîner. Je me suis engagé à le faire parce que je trouvais important de mettre une touche de vert dans mon école. J’en profite pour parler du recyclage aussi et depuis, la poubelle de boîtes de jus, elle est tout le temps pleine ! explique fièrement cet élève de secondaire 1. »

Étienne s’occupe du jardin chez lui et apprend ainsi beaucoup.

Quand il habitait à Tadoussac, Etienne a déjà ramassé avec son école les milliers de canettes abandonnées sur la promenade, après le festival de la chanson. L’argent servait à des activités de l’école. Il a également été bénévole au dernier Défi Pierre Lavoie. Son expérience lui permet d’affirmer qu’on n’est pas toujours obligé d’avoir de l’argent pour être satisfait de son travail. Il poursuit ainsi : « Chez nous aussi je fais du bénévolat, je nourris les animaux, je m’occupe du jardin, je ramasse les œufs, même si je n’aime pas ça, je le fais quand même pour aider mes parents. Maintenant, je sais comment faire un jardin, je sais même comment faire pousser de l’ail ! En fait, faire du bénévolat, ça nous encourage à faire plus attention à nos actes ! »

De la même façon à Rivière-Éternité, Francesca Houde, 26 ans, a commencé à faire du bénévolat dès l’âge de 15 ans. « Ma première implication, c’était en 2005, avec le comité de piste cyclable. Ensuite, je me suis intégrée au comité de bassin versant. On travaillait sur le projet de protection de la truite de mer. J’étais alors secrétaire trésorière, je n’avais pas encore 18 ans. »

C’est un sentiment d’appartenance à la communauté, l’envie que les choses s’améliorent qui ont incité Francesca à prendre part à ces différents comités. « Je suis une personne assez sportive, alors la création d’une piste cyclable, ça  m’intéressait c’est sûr ! poursuit-elle en souriant. Et puis le comité de bassin versant m’a permis de rencontrer des gens du milieu forestier. Cela a confirmé mon choix de carrière. »

Francesca participe à une levée de fond pour le projet de piste cyclable.

Pour cette jeune conseillère municipale, le bénévolat c’est un état d’esprit. Celle qui a toujours vu sa mère s’impliquer reconnaît qu’actuellement, il y a peu de gens de son âge qui font du bénévolat à Rivière-Éternité. « Ceux de ma génération, ils s’investissent sur de petites périodes de temps, une sorte de bénévolat à la carte, en fonction de ce qui les intéresse. »

Quand ils sont arrivés au comité des loisirs de Petit-Saguenay, Léa Tremblay, Alain Simard et Stéphanie Côté, trois jeunes bénévoles dans la vingtaine, en ont fait sourire plus d’un. Mais après le succès rencontré lors du concert des 2Frères, les sceptiques ont été confondus. « Nous les jeunes, on est là pour pousser la machine, explique Alain. Quand j’ai commencé mon travail d’ambulancier, j’avais plus de temps et plein d’idées dans la tête. Alors ça me tentait de pouvoir les mettre en place! »

Stéphanie de son côté arrive de Chapais. Le bénévolat dans la communauté lui permet de rencontrer les gens de Petit-Saguenay: « J’ai un enfant de 7 mois, alors si je veux qu’il y ait des activités pour mon fils plus tard, il faut que je m’implique. Je vais aussi faire partie du comité des familles. Le bénévolat ça fait du bien, c’est valorisant, c’est une reconnaissance. »

Léa Tremblay, Alain Simard et Stéphanie Côté, sur la glace toute neuve de l’Aréna de La Vallée de Petit-Saguenay.

Enfin Léa, native de Petit-Saguenay, voudrait bien rester vivre dans son village. Celle qui a suivi une formation d’éducatrice en garderie est cependant consciente du peu d’opportunités professionnelles : « Je suis éducatrice à la garderie de l’école mais les coupures et le vieillissement de la population font qu’il n’y a pas beaucoup de travail pour moi ici, et si je ne veux pas m’en aller en ville, il faut que je crée mon emploi. J’aimerais beaucoup travailler à L’Aréna, alors en faisant ainsi du bénévolat, je me fais une place tranquillement. »

C’est donc à partir de trois motivations complètement différentes que ces jeunes bénévoles ont organisé un événement d’envergure. Ils ont ainsi répondu à leur objectif principal, celui de faire bouger l’aréna de Petit-Saguenay, été comme hiver ! Mais sans pour autant en oublier leurs propres aspirations ! Étienne lui, il veut mettre du vert dans son école, trouve qu’on gaspille beaucoup trop. Il accepte donc sans hésiter la proposition de l’école Fréchette d’intégrer le tout nouveau comité vert. Francesca, quant à elle, constate que le bénévolat lui a permis de s’ouvrir. Celle qui était assez timide au secondaire donne maintenant des conférences sur la foresterie dans les cégeps.

La relève bénévole est peut-être tout simplement déjà en train de se transformer sous nos yeux. Suffirait-il alors de regarder ce qui se fait de nos jours plutôt que ce qui n’est plus comme avant ? Et comme le dit si bien Éric Dufour : « Au lieu de chercher à attirer de jeunes bénévoles à tout prix, voyons plutôt ce que nous avons à leur offrir ! »