Madame Judith Gagné est née le 3 décembre 1932, sur la rue Saint-Jean Baptiste, à L’Anse-Saint-Jean. À cette époque, ses parents, Stanislas Gagné et Bernadette Pelletier, habitaient chez les grands-parents paternels, Marie-Louise Côté et François Gagné.
« Quand il s’est marié avec ma mère, mon père a demandé un lot à la colonisation et c’est là qu’on est partis sur Périgny. Il a défriché la terre, avec les billots, il a bâti le camp, il faisait du bois de poêle aussi, il travaillait dur. Moi je suis montée à la fin de l’été quand le camp était prêt, j’avais 8 mois et mon frère deux ans. »
Si Stanislas était natif de l’Anse, Bernadette, sa mère, venait du Petit-Saguenay, du côté du lac Long. « Mes grands-parents du côté de ma mère, Françoise Gaudreault et Pitt, on disait Pitt, mais son nom c’était Pierre Pelletier, ils restaient au Petit Lac. Ma mère venait à l’école icitte au village de l’Anse et elle passait par le bois pour rentrer. Elle me disait que quand il faisait noir de bonne heure, on venait au-devant d’eux avec un fanal. Ma maman avait toujours des histoires à raconter ! Je tiens ça d’elle ! Toute la famille à mon grand-père Pitt restait dans la même maison, celle au Petit Lac, ses frères Romuald, Auguste, Justillin, ils étaient une douzaine là-dedans, les enfants dormaient deux par deux. Pierre, c’était un métis, il venait de l’autre bord du fleuve, il a traversé pour venir marier ma grand-mère Françoise. »
Sur leurs terres à Périgny, Stanislas faisait du bois, des billots sur la montagne l’hiver qu’il vendait au printemps. Comme tout le monde à l’époque, la famille s’organisait avec ce qu’elle avait. « Une année, mon père s’est acheté une vache, on tirait le lait, on faisait notre beurre, de la crème, on achetait nos provisions chez monsieur Oscar Boudreault sur le rang St-Thomas. C’était un gros magasin général, on allait acheter nos provisions pour l’année ! Des 100 livres de farine, de sucre brun, de la graisse, du sel ! Après ça on se faisait un jardin, on avait nos légumes, on était bien ! On n’avait pas de caveau par exemple mais on canait beaucoup. »
Du temps où madame Judith allait à l’école, il n’y avait qu’une douzaine d’enfants dans la classe à Périgny. La petite école se trouvait à côté de la maison où habite maintenant Léon Houde. « Quand on est montés nous autres, il y avait monsieur Rona Martel avec madame Brigitte, leurs enfants étaient plus grands, mais de temps en temps ils m’emmenaient à l’école. Mais ça n’a pas duré longtemps qu’ils ont quitté l’école et j’y allais plus souvent toute seule. Quand j’ai quitté l’école, chez René Dufour du voisinage où il y avait une douzaine d’enfants, maman m’envoyait les aider, j’ai lavé beaucoup de linge ! C’était charitable mais j’étais trop petite ! Il y’avait aussi chez Élias Houde et leurs 14 enfants ! »
Madame Judith se rappelle qu’à l’époque, ils prenaient l’eau dans la rivière avec des siaux. « J’allais à la pêche, ma mère m’envoyait, elle me disait Judith vas nous pêcher une truite, à soir on se fait une sauce à patate ! On appelait ça l’Islet, avant d’arriver chez nous, le détour où il y a une grange, c’est là qu’on allait pêcher. Maman, elle montait dans les châssis et elle regardait si j’étais là, parce qu’il y avait des ours. Ils couraient après ma truite ! »
Aujourd’hui c’est Idola, le fils de madame Judith, qui bûche sur la montagne de son grand-père Stanislas. « Idola, il dit que les épinettes sont tellement grosses, il a beaucoup de misère à les sortir, mais il n’est pas question de rentrer des machines qui vont toute briser. Ces gros arbres qu’il coupe, ce sont les repousses que son grand-père a laissées là ! Ça fait chaud au cœur de voir ça, mon garçon qui bûche comme son grand-père, dans le respect de la forêt ! Jean-Marie, mon mari, il voulait pas non plus voir de machine sur sa terre ! Il coupait un bouleau et il laissait les petites repousses toute alentour ! Les grosses machines, ça brise toute, s’il y a un petit ruisseau, il devient de la bouette ! »
« Ma mère était une bonne vivante, elle était ricaneuse. Quand elle est morte, elle avait rien que 66 ans ! Une crise de cœur ! Sur la galerie chez nous, il y avait les garçons, des voisins, ils avaient épluché ensemble des gourganes et elle avait don’ rit ! Papa disait Nadette tu vas faire une crise de cœur, tu ris trop ! Ce jour-là, c’était un vendredi je me rappelle, ma mère rentre dans la maison avec son petit sac de gourganes, elle riait pis elle tombe à terre, pauvre petite ! Elle est heureuse elle, c’est moi qui ai mangé le coup ! Papa, il en est mort, il a tellement pleuré, mon mari se levait la nuit, il lui disait monsieur Dislas – chez nous, on dit jamais le nom au complet – monsieur, ne pleurez pas, madame Nadette elle est partie! Priez le Bon Dieu pour elle. Il est mort deux ans après ! »
Écouter les histoires de madame Judith, c’est un peu comme se balader au pied de l’arbre généalogique de Périgny. Cette petite femme de 89 ans aux yeux pétillants qui illuminent son visage couvert de rides souriantes connait tous les noms de tous les habitants, leurs parents et grands-parents, même que parfois, son fils Idola l’appelle pour se rafraichir la mémoire ! « Mes racines sont à Périgny, j’ai tellement pleuré quand on a vendu la maison ! »
Quand Judith rencontre son mari, Jean-Marie Houde, il travaillait chez le voisin Louis-Henri Martel. « Il venait tous les soirs faire son tour, me faisait des beaux yeux, j’y disais t’as beau me regarder, tu m’auras pas ! Mais à un moment donné, j’ai eu un coup de foudre. Mon père voulait bien que je me marie mais il fallait que je reste avec eux dans la maison à Périgny. Jean-Marie était d’accord. »
Jean-Marie Houde travaillait dans le bois, il partait le lundi matin et il revenait le vendredi midi, pendant que Judith s’occupait de la ferme, des enfants, des parents, rentrer le bois, chauffer le poêle. « Mon père avait été opéré 4 fois de pierres sur le rein, il pouvait pas m’aider. On avait des vaches, des moutons en bas, proche de la rivière. On en tuait un de temps en temps pour le manger. On tondait les moutons, on prenait des grandes cuves pour laver toute notre laine, on charriait l’eau dans ce temps-là, on avait un tordeur sur le bord de notre cuve, on la faisait sécher dehors, on la cardait avec des cardes, pour l’étirer, on enlevait les aigrettes, le foin, après on la filait. On avait un métier à tisser, c’était un forgeron qui l’avait fait ! Édouard Gaudreault, c’était pas un gars qui travaillait le bois, il avait fait ça en gros bois carré, je me rappelle, on était pu capable de le manœuvrer, il était trop pesant ! »
« Ça me fait du bien de te raconter ces histoires ! Je suis tellement heureuse d’avoir fait tout ça dans ma vie, si c’était à recommencer, il n’y a rien que je regrette! Je recommencerais ! »