Le Jardin des fées de Petit-Saguenay

171

Arrivée à Petit-Saguenay au printemps dernier, j’ai rapidement exploré le territoire pour y trouver mes lieux d’enracinement. Avec mon petit S. dans le chariot, mes balades à vélo m’ont menée à un endroit que l’on m’a décrit comme « le Jardin des fées » : un havre de calme, fleurissant, enveloppé par le murmure de la rivière.

Adjacent au Parc de la Croix, ce minuscule boisé aménagé de sinueux sentiers et de talles de fleurs colorées invite les passant×es à prendre le détour. S. et moi y avons choisi un banc et l’avons décrété notre endroit où une tradition hebdomadaire de contemplation allait s’y installer. Les gourdes bien pleines de l’eau fraîche de la source du père Ben, on y savoure chaque gorgée en appréciant la détente.

Qui sont les fées?

On raconte que l’on nomme les « fées » celles qui entretiennent cet espace. Les ayant vues à l’œuvre, genoux au sol et mains dans la terre, elles y mettent du cœur pour embellir ce boisé au bénéfice de toute la communauté. Par un beau dimanche d’automne, j’ai eu l’occasion de rencontrer trois d’entre elles.

« Le Jardin des fées, on n’avait jamais entendu ça! Nous, on appelle ça notre parc », me disent-elles en riant.

Marie, Eva et Élisabeth Lavoie sont trois sœurs, soudées par un amour de la botanique et un attachement à Petit-Saguenay, leur village natal. Avec Eva Côté, leur « leader dans les idées », elles contribuent depuis 2009 à faire fleurir et briller Petit-Saguenay à travers le comité d’embellissement, qui s’est transformé en « comité environnement » face aux enjeux d’aujourd’hui.

Elles m’énumèrent avec fierté les espèces de plantes que l’on retrouve dans le Jardin des fées : des hostas, des iris, des hémérocalles, des anémones du Canada, des myosotis, des clématites… Plus de 60 espèces de vivaces y peuplent son sol. Qu’elles soient indigènes de ce boisé, transplantées de leurs propres jardins ou empruntées à la nature, ensemble elles forment un vrai laboratoire de biodiversité où se côtoient aussi des mésanges, des sittelles, des geais bleus, des pics, des colibris, des sizerins et des roselins.

« Cet été, il y avait même un lapin domestique qui ne voulait pas rentrer chez lui et, l’hiver, on y voit des traces de chevreuils », raconte Marie Lavoie.

À chaque mercredi avant-midi, de mai à octobre, les fées se retrouvent dans le boisé pour planter, débroussailler, sarcler et entretenir les sentiers. Initié dans l’informalité, le comité s’est greffé plus étroitement à la municipalité en 2018, quand Eva Lavoie a obtenu un contrat d’embellissement dans plusieurs secteurs du village. Dès lors, une planification s’est installée, conjuguée d’un budget pour l’acquisition de plantes, de compost, de terre et de paillis. Néanmoins, elles disent ne pas avoir fait partie du processus de planification de la revitalisation du cœur du village, qui affecte directement le boisé qu’elles entretiennent depuis déjà près de 15 ans.

« La municipalité a donné le mandat à des architectes paysagistes », me disent-elles, sans une pointe d’amertume.

Un jardin en travaux

Depuis le milieu de l’été, le Parc de la Croix est un véritable chantier. Entre autres rénovations, une passerelle piétonne qui relie la promenade de la rivière et le Parc de la Croix vient tout juste d’être installée. Heureusement, le Jardin des fées a été intégré dans le plan d’aménagement de façon à le mettre en valeur : les piétons devront traverser le boisé pour se rendre au Parc de la Croix. De tels travaux impliquent toutefois le déracinement d’une grande partie de ce que les fées ont planté depuis leurs débuts. Elles ont au moins réussi à récupérer la plupart des plantes, grâce à l’aide des ouvriers qui les ont précieusement mises de côté et arrosées durant les journées chaudes. Elles ont également pu regarder les plans des architectes paysagistes et constater les espèces choisies.

« On a beaucoup chialé, mais ça a bien du bon sens », m’assure Elisabeth Lavoie. « Les architectes ont choisi des arbres bien adaptés au climat et qui vont éviter d’attirer des insectes nuisibles pour les autres plantes », renchérit Eva Lavoie, naturaliste et technicienne forestière de formation.

Si les fées reprendront l’aménagement du boisé l’été prochain? C’est un « oui » sans équivoque et en cœur que j’obtiens pour réponse. Si vous souhaitez vous joindre au comité environnement pour jardiner dans le plaisir avec les fées de Petit-Saguenay, pas besoin de cacher une dent sous votre oreiller; elles vous invitent à communiquer avec la municipalité pour obtenir leur contact.

Sinon, vous irez profiter de l’endroit pour y déployer une nappe au sol, partager un pique-nique dans la douce lumière du soleil de mai, y laisser de nouvelles amitiés prendre racine ou bien vous y côtoyer entre vieilles branches.