Pour beaucoup de natifs du Bas-Saguenay, la pêche est un mode de vie. Les yeux pétillants, Marina Gaudreault, native de Rivière-Éternité, me parle de sa passion. « L’hiver, on peut y aller 3 à 4 fois par semaine et même le soir ». C’est son père, Mr Marius, qui fêtera bientôt ses 90 hivers, qui l’a initiée. « On pêche de génération en génération : mon père, mes enfants et mes petits-enfants vont pêcher. »
Une histoire de famille
Alors qu’elle me montre son album de photos, Marina me dit : « Regarde ça, c’est tous mes petits-enfants, regarde comme ils s’amusent, avec le cran derrière, c’est tellement beau! ». La petite dernière qui n’a que 2 mois est là aussi. « Mon garçon s’est construit une cabane l’année passée. Mon père est là aussi, mes frères et mes sœurs ». Les Bergeron ont modifié leur cabane qui fait maintenant 8 x 12 pieds…pas le choix, quand la famille s’agrandit, la cabane aussi! Marina est fière de passer le flambeau à ses petits-enfants. « Quand les enfants arrivent, ils veulent tous ma canne, c’est la canne chanceuse. En plus elle est rose, alors personne ne me la vole ».
Le froid? Quel froid?
Sur les glaces du fjord, plus il fait froid et plus les gens sont contents! « Depuis plusieurs années on embarquait aux alentours du 23 janvier. Cette année la saison a commencé une semaine plus tôt. La semaine passée, c’était froid, mais ce n’est jamais froid pour moi, je pêchais mains nues ». Les semaines sont comptées et dès que la glace atteint l’épaisseur voulue, une sorte de frénésie s’empare des villages dispersés le long du fjord. Les pick-up défilent, lestés de cabanes toutes aussi originales les unes que les autres. Des petites, des grandes, des colorées, des bringuebalantes, des rustiques ou des toutes équipées, toutes devront se rendre sur le fjord et de préférence le plus tôt possible. Quel spectacle de voir ces mini villages éphémères, nichés dans des paysages grandioses. Se promener sur les glaces du fjord change notre perspective du paysage, c’est une vue directe sur les montagnes, le cran et ses reliefs. Au pied du cran de la Baie éternité, c’est quand on descend sa ligne pour toucher le fond que l’on prend conscience de la profondeur! Le point le plus profond du Saguenay atteint les 885 pieds et se situent entre L’Anse Saint-Jean et la Baie Éternité. Le fjord du Saguenay est l’un des plus profonds du monde.
Et avant c’était comment?
Marina se souvient d’une époque où ils remplissaient des contenants de 5 gallons de sébastes : « Dans ce temps-là, t’avais juste à toucher à ta ligne et ça mordait. On disait, oh non pas encore un rouge! Ça n’arrêtait pas ». Au tout début les gens ne savaient que le sébaste se consommait, la morue étant la plus appréciée, mais aujourd’hui à la poêle ou en fish, toutes et tous savent que c’est un délice. « J’aime le poisson, j’aime le manger et j’aime le pêcher. » Marina s’est même fait offrir un chandail sur lequel est inscrit : « Je n’ai pas besoin de thérapie, j’ai juste besoin d’aller à la pêche! ».
Du côté de Ferland-et-Boilleau
Pour Janic Gagnon, c’est son grand-père, Mr Louis-Joseph, pêcheur de truites, qui lui a transmis la passion. Il fabriquait lui-même son chalin (petite embarcation) et même ses rames. « Je suis d’une famille de 7, mes frères allaient beaucoup à la pêche et ils m’emmenaient ! »
Une cabane confortable
Puisque Janic réside à Ferland, la pêche d’hiver se passe sur les glaces de La Baie et pour en profiter au maximum, elle a trois cabanes. « Une pour le poisson de fond, une pour l’éperlan et une petite que je traîne avec ma motoneige. » Cette dernière plus légère permet d’aller sur la glace avant que la saison ne commence officiellement. C’est en 1993 qu’elle a eu sa première cabane et avec le temps, me confie Janic, on a envie d’un peu plus de confort. La plus grande cabane mesure 8 par 18 pieds, il y a deux fauteuils, un poêle à bois et ses pantoufles. « La pêche c’est mon sport d’hiver, si je pouvais j’irais tous les jours. On a hâte d’embarquer sur la glace, et quand ça finit au mois de mars, le soleil est plus chaud, les journées sont plus longues. Ça fait passer l’hiver. C’est vraiment plaisant ».
Pêcher mais aussi faire du social
Janic se souvient des grands rassemblements sur les glaces de La Baie : courses de motoneiges, chapiteaux pouvant accueillir 300 à 400 personnes, feux d’artifices, carnavals, des « méchants partys »! Bien que les règlements limitent maintenant de tels événements, le village de cabanes demeure un endroit privilégié pour placoter. « Si je pêche mon quota en 1 heure, je fais du social. Même si ça ne mord pas, je passe la journée là, et on se voisine ». Janic retrouve sa gang d’hiver lors de la pêche blanche. « C’est ça le plaisir aussi, c’est les rencontres amicales, on a des amis d’hiver, je ne les vois pas le restant de l’année mais l’hiver, on garde nos places alors on se retrouve chaque année ».
Agacer le poisson
Pas le temps de s’ennuyer à la pêche blanche. Il faut chauffer la cabane, s’installer, monter ses lignes, les mettre à l’eau, et puis agacer le poisson. « Moi j’aime avoir ma canne dans les mains, il faut l’agacer et pour l’éperlan c’est la même chose ». Elle se rappelle être venue pêcher dans la Baie Éternité à l’époque où le quota était de 25 prises. Il n’était pas rare de sortir trois sébastes en même temps. « Quand on attrapait un sébaste de 10 pouces, on disait que c’était un bébé ». Aujourd’hui on sait qu’un sébaste de 14 pouces a environ 20 ans.
Ce n’est pas la taille qui compte mais le plaisir !
Après avoir discuté avec ces deux amoureuses de pêche blanche je retiens deux choses. Ce n’est pas le plus gros poisson, la meilleure canne ou encore la plus grosse cabane qui importe, mais bien le plaisir de pêcher entourée d’un paysage « fjordesque » et de sa famille, d’amis, ou même d’inconnus qui, à force de « Pis, ça pognes-tu? » deviendront peut-être de nouvelles amitiés. C’est ça le plaisir de la pêche blanche.