D’après une étude publiée par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), si chacun de nous achetait 30 $ de plus de produits québécois chaque année, nous injecterions au final, en 5 ans, un milliard de dollars supplémentaires dans l’économie locale. De plus, quand on apprend que les aliments de nos épiceries ont parcouru en moyenne 2500 km avant d’être mis en vente, voilà bien quelques chiffres qui donnent matière à réflexion.
Mais qu’en est-il de la réalité au Bas-Saguenay ? Est-il possible de relever ce défi du manger local ? Sommes-nous prêts à changer nos modes de consommation ? Enfin avons-nous vraiment besoin d’un kiwi au petit déjeuner ? Pour tenter de répondre à ces questions, d’en comprendre un peu plus les enjeux, nous sommes allés rencontrer des personnes de la région qui, de par leur travail ou dans leurs loisirs, s’évertuent à développer ou à consommer des produits locaux. Ils nous partageront leurs impressions, leurs recettes et leurs nombreuses idées.
Pour André Gagné, l’un des fondateurs du Concours de panaches de Rivière-Éternité, la chasse c’est quasiment l’histoire de sa vie. Dès l’âge de 9 ans, avec son jumeau André-Anne, il partait au collet dans les bois, tous les soirs après l’école. « Mon père venait de décéder, les plus vieux travaillaient en forêt, et nous on avait un devoir, un beau devoir, celui de nourrir notre famille de 19 enfants. Le vendredi, on ne mangeait pas de viande alors on pêchait de la truite de ruisseau, on ramassait de l’anguille. C’était une obligation mais on était drôlement fier.»
Celui qui passait ses vacances d’été à faire des cueillettes de petits fruits a pris conscience très jeune qu’il vivait au milieu d’un fabuleux garde-manger. Et d’ailleurs, il n’est pas question d’épuiser la ressource. En trente années de chasse à l’orignal avec ses cinq frères dans le secteur du Lac à la Truite, ils n’ont tué que deux femelles.
« La chasse à l’orignal, c’est une chasse qui se prépare. Depuis le printemps, on aménage nos sentiers, on débroussaille des endroits où l’orignal viendra se nourrir de jeunes pousses de cerisiers pour que la viande goûte bon. Alors quand tu tues ta bête, c’est un peu comme si tu gagnais la coupe Stanley et ce n’est vraiment pas facile de laisser partir les femelles, mais on le fait pour nos enfants et nos petits-enfants. Pis de toute façon, quand y’a une femelle, y’a au moins 3 à 4 mâles en arrière ! » conclut André Gagné en me présentant fièrement son jardin. Tout pour faire un bon ragoût !
Les Jardins de la Montagne, ferme de légumes biologiques établie à Petit-Saguenay depuis 1999, cultivent des produits d’ici et de qualité, permettant aux gens de se nourrir correctement tout en respectant l’environnement. Avec son programme d’agriculture soutenue par la communauté (ASC), la ferme distribue ainsi une centaine de paniers hebdomadairement, pendant 15 à 16 semaines.
Le concept de l’ASC consiste à demander au consommateur de payer les paniers de légumes à l’avance. En échange, les fermiers de famille s’engagent à offrir aux abonnés des produits de qualité, en diversité et en quantité satisfaisantes et ce dans le plus grand respect de l’environnement. La formule permet de soutenir les fermes locales en garantissant un revenu et en facilitant grandement la mise en marché.
« Notre ferme fait travailler cinq personnes alors quand on achète local, on permet également à quelqu’un d’ici de garder son emploi.» précise Gilles Arsenault, propriétaire avec Anne Gaudreault des Jardins de la Montagne. À Petit-Saguenay, c’est ainsi une soixantaine de légumes qui sont cultivés et un kiosque de vente est ouvert tous les jours durant la saison.
«Avec ce principe d’agriculture soutenue par la communauté, on ne vend pas seulement des légumes, on publie une info lettre chaque semaine, on éduque d’une certaine manière nos clients, on crée une relation avec eux.» conclut celui qui se définit comme un fermier de famille.
Co-propriétaires de l’épicerie Amyro depuis maintenant trente ans, Guylaine Boudreault et Roberto Gagné ont toujours eu à cœur la distribution de produits locaux. Ils remarquent d’ailleurs que de plus en plus de gens recherchent ce style de produit. «On offre des produits de L’Anse-Saint-Jean et de Petit-Saguenay, de la viande de cerfs, des légumes et des fruits, des champignons et des jeunes pousses. » explique Guylaine.
Avant, l’épicerie ne pouvait même pas se fournir en bleuets du Lac. Tout partait à l’exportation. Mais maintenant, Guylaine voit bien que la tendance vers l’achat local prend de l’ampleur. «Les clients en redemandent, et nous, on a ainsi accès à un produit de qualité qui fait du bien à l’économie de la paroisse.» Lorsque la petite entreprise de germination La Belle Verte s’apprêtait à déménager en Estrie, c’est Guylaine qui a appelé les sœurs Sherley et Myriam Boudreault des Champignons du Fjord, pour leur proposer de continuer. «On avait créé un besoin, on ne pouvait pas laisser tomber ainsi la clientèle !»
«Les produits locaux, c’est vraiment un bel atout dans notre épicerie et nous, on en veut toujours plus. Y’a pas plus frais que ces légumes là. Le matin, ils étaient encore sur leurs plants et l’après-midi on les vend !» conclut Roberto.
C’est par un beau dimanche matin que je suis allée rencontrer Jean-François Gravel et Marie-Hélène Belzile, ces deux charmants cueilleurs des bois. Au menu, des produits tout fraîchement récoltés. Une omelette composée de racines de bardane frites à la poêle (on les récolte à l’automne sur les plants de première année, quand ils ne font pas encore de tocs), de l’arroche ou épinard de mer et des pieds bleus (petits champignons sauvages), le tout aromatisé d’herbes du jardin.
«Aller cueillir dans le bois, il faut que cela soit fait avec plaisir sinon, c’est juste du trouble, t’es à genou au soleil pendant des heures. Finalement, c’est une pratique ancestrale et ça nous relie à quelque chose de très fort. Tous ceux qui ont déjà cueilli le savent, souvent on n’est plus capable de s’arrêter … c’est plus fort que nous.» explique Jean-François avec un petit sourire en coin.
« Y’a la fierté aussi. Et puis, aller cueillir son déjeuner ça nourrit autrement, en fait, ça te nourrit deux fois, quand tu pars à la cueillette et après quand tu le manges.» partage Marie-Hélène.
Nouvellement ouvert à Saint-Félix-d’Otis, sur l’ancien chemin, le petit café bistro Le Perchoir essaye d’inscrire un maximum de produits locaux à sa carte. Iris Paquette-Perreault et Michaël Marcotte, les jeunes propriétaires de la place, ont même cultivé un jardin tout au long de la saison. «C’est avant tout pour la fraîcheur et le goût que l’on utilise des légumes de notre jardin. On s’est acheté une serre pour l’année prochaine, pour les tomates, les concombres et les piments. Notre objectif, c’est de devenir autosuffisants. Pour notre première année, on a utilisé 20 à 25 % de nos légumes et l’année prochaine, avec la serre, on voudrait atteindre 45 %.» précise Michaël qui a déjà travaillé en agriculture.
La nourriture locale fait donc partie intégrante du projet, il correspond à une philosophie que ses deux promoteurs ont à cœur. Mais la réalité a un autre goût et utiliser uniquement des légumes de saison deviendrait vite un casse-tête dans lequel Iris et Michaël ne veulent pas s’embarquer. « Manger local, c’est un beau défi, car ici à Saint-Félix-d’Otis, il n’y a pas de producteurs, mais graduellement, on va continuer sur cette voie.» conclut Iris.
Ce tour d’horizon des pionniers du manger local, n’est pas exhaustif, bien heureusement. Mais comme le concluent si justement Iris et Michaël, il y a au Bas-Saguenay encore bien de la place pour de nouveaux projets du genre. Et à en croire Guylaine et Roberto, la demande est en hausse constante ! Notre santé, la planète au complet et même notre porte-monnaie ne pourraient alors que s’en porter mieux.
Recette autochtone pour le foie d’orignal.
«Ton foie, tu le déposes pendant toute une journée sur des branches de cerisier d’un pouce de large que tu auras auparavant entaillé sur tout le long avec une petite hache. Le foie, c’est un organe qui absorbe, alors il ramasse tout le sucre du bois, de la sève, et son goût devient délicieusement fruité. À la fin de la journée, tu mets deux ou trois morceaux de bacon dans le fond de ta poêle, puis tu déposes ton foie là-dessus. Tu dégustes, un vrai nectar.» André Gagné