Marie-Andrée Gill a un don, un don de parole qui va direct au cœur et sait si bien transmettre son amour et son respect du Nitassinan*. D’ailleurs, tous les projets auxquels participe la poète obtiennent des prix prestigieux. Le balado qu’elle anime sur Radio-Canada, Laissez-nous raconter : L’histoire crochie, dans lequel les 11 Premières Nations du Québec reprennent le bâton de parole pour décoloniser l’histoire, a remporté le prix du meilleur balado francophone à la 3e édition du Paris Podcast Festival. Le très émouvant documentaire Je m’appelle humain de Kim O’Bomsawin, dans lequel Marie-Andrée accompagne son amie Joséphine Bacon sur le Mushuau-Nipi, collectionne les prix. Et voilà que fin novembre, le Conseil des Arts et des Lettres du Québec (CALQ) décerne le prix de l’artiste de l’année pour la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean à la jeune femme native de Mashteuiatsh, et résidente de L’Anse-Saint-Jean depuis une dizaine d’années.
« Je ne demande rien à personne et je me fais inviter à des projets vraiment incroyables, je visite des lieux comme le Mishuau-Nipi au nord de Schefferville, le long de la rivière Georges ! Je me trouve tellement chanceuse ! » rapporte celle qui est bien consciente qu’il y a un intérêt, au Québec comme ailleurs, pour les Premières Nations.
Aujourd’hui, c’est à son tour de prendre le bâton de parole: « Quand on voit le territoire comme une ressource, qu’on parle d’une région ressource, c’est une notion qui matérialise tellement le vivant, mais le territoire mérite mieux que ça. Si on le brise, on se brise nous autres avec, parce que l’on est fait de la même matière : on est des lacs, des rivières, des forêts. Avant j’avais tendance à dramatiser en me disant, on est en train de toute détruire, mais là je me demande plutôt qu’est-ce que je peux faire de beau ! C’est dur, il faut arriver à gérer la colère, travailler sur soi et transformer nos pensées apocalyptiques, parce qu’elles nous éloignent de la beauté de la vie, du principe du vivant. »
Le territoire, c’est une identité!
« L’écologie et tous ces concepts-là, pour les Premiers Peuples, avant ça n’existait pas, cela faisait partie de la vie de tous les jours, de la spiritualité. Le caribou, il faut le respecter si on veut être sûr d’en tuer encore, tout cet équilibre-là naturel était vraiment spirituel. Aujourd’hui, il est devenu scientifique, mais je trouve que la science et la spiritualité, finalement c’est la même chose ! Ce sont les mêmes concepts que l’on explique différemment ! »
Une des plus vieilles légendes chez les Innus, celle de Mesh, raconte l’histoire d’un poisson qui commence à avoir des pattes, sort de l’eau et se met finalement à grimper aux arbres ! Impressionnant tout de même, la théorie de l’évolution racontée il y a 15 000 ans. « C’est drôle comme les traditions orales, on ne les prend pas au sérieux ! Ce n’est pas scientifique, il n’y a pas de papier alors ça invalide des traditions qui sont pourtant là depuis très longtemps et qui devraient être respectées », s’étonne Marie-Andrée. « Le territoire et les autochtones, c’est indissociable, c’est la même entité ! Si on est pour la protection de l’environnement, il faut travailler ensemble. Tout le savoir par rapport à la nature, ce sont les autochtones du monde entier qui l’ont moins perdu. Le fait d’être en harmonie avec le vivant, ce sont tous les savoirs des peuples ancestraux, et on est en train de les perdre ! »
Celle qui nous rappelle que les générations avant nous, elles en ont eu du temps pour comprendre la patente, s’exclame : « Quand tu dors dans une tente, tu sens bien plus les effets de la pleine lune sur toi ! D’ailleurs au campement du Mushuau-Nipi, pendant que l’on tournait le documentaire là-bas, j’ai fait un rêve étrange. Le soir avant que le caribou soit tué, on est allées se coucher, moi et Joséphine. Je me lève dans la nuit, on parle un peu, et juste quand suis sur le bord de me rendormir, j’entends des sabots qui tournent autour de la tente, mais je ne me lève pas. Le lendemain, la première chose que Joséphine me dit, j’ai entendu des sabots cette nuit! On est allées voir tout de suite autour de la tente mais aucune trace ! C’est comme si on était allées visiter le même rêve ! Papakassiku* est venu nous voir. En plus, toute la semaine on ne parlait que de ça, c’est comme un cadeau, comme s’il nous disait vous êtes à votre place ! »
Les projets ne manquent pas du côté de Marie-Andrée Gill qui écrit pour un collectif autochtone, des revues, mais aussi pour son doctorat qu’elle poursuit à l’UQAC. Laissez-nous raconter : L’histoire crochie va être traduit en anglais, des professeurs d’histoire le rajoutent à leur programme, une suite est prévue en partenariat avec le Planétarium de Montréal. En effet, Karine Lanoie Brien la réalisatrice du balado, est en train de faire des recherches sur la vision de l’astronomie chez les Premiers Peuples, leur façon ancestrale de voir les étoiles. Et là encore, elle veut y représenter les 11 Premières Nations du Québec. « Pour l’instant, elle défriche et ensuite on écrira ensemble le scénario du film. Un documentaire qui explique la naissance du monde, la cosmologie, notre place dans l’univers … la grosse affaire ! » conclut joyeusement Marie-Andrée Gill.
*Nitassinan : notre territoire en innu-aimun
*Papakassiku : le maître des caribous en innu-aimun