Les artisans du Bas-Saguenay : entre défis et passion 

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Crédit photo : Manon Landry

« Vivre de son artisanat, c’est encore possible… », confie David Gaudreault, forgeron à Petit-Saguenay. « … Mais il faut y mettre tout son cœur », complète Julie-Vanessa, co-fondatrice de la coopérative Minuit Moins Cinq. Ces deux phrases résument bien l’équilibre complexe entre défis et opportunités auquel font face les artisans de notre région éloignée.

Les défis de l’éloignement

Le Bas-Saguenay, avec ses paysages majestueux, inspire la créativité, mais impose également une série de contraintes logistiques aux artisans. Le coût des matières premières est l’un des enjeux majeurs. « Pour acheter la matière première, je dois souvent me déplacer ou payer des frais de transport élevés », explique Kathlyn, potière à Petit-Saguenay.

Un forgeron à l'ouvrage sur son enclume
Crédit photo : Yannick Limary

Ces coûts de transport s’ajoutent aux défis de la commercialisation. Dans une région où la clientèle locale reste limitée, les artisans doivent redoubler d’efforts pour attirer des acheteurs des grands centres urbains. David résume bien le problème : « J’ai souvent à livrer moi-même mes pièces à Québec ou même à Montréal. Cela demande une organisation énorme. »

Toutefois, cette réalité évolue grâce au numérique. Claudia, propriétaire des Rebelles des bois, constate : « Les jeunes pousses, celles qui maîtrisent les outils du web, s’en sortent mieux. » Et elle a raison. Léa, créatrice de Delaine Tricot, illustre parfaitement ce constat : « Ma compagnie a grandi grâce aux réseaux sociaux. J’expédie mes commandes partout dans le monde depuis le bureau de poste de Petit-Saguenay. L’éloignement n’a pas vraiment d’impact pour moi. »

De plus, cette réalité peut certainement être nuancée selon la localisation des artisans au Bas-Saguenay. « Ma boutique donne sur la route principale, ce qui augmente son achalandage », explique Martin Bergeron, co-propriétaire de la savonnerie Au pays des bleuets à Rivière-Éternité. En outre, des villages attirant une clientèle touristique internationale comme L’Anse-Saint-Jean assurent un achalandage « pendant plusieurs mois de l’année », selon Claudia.

Une communauté soudée et inspirante

Un joallier dans son atelier
Crédit photo : Yannick Limary

L’éloignement des grands centres urbains est aussi un éloignement des grosses communautés d’artistes et d’artisans. Émile Gilbert, jeune joaillier à Petit-Saguenay, nous confie manquer de professeurs ou d’un mentor : « Pour apprendre c’est plus difficile, je me sers beaucoup d’internet et j’expérimente. »

Malgré ces difficultés, les artisans du Bas-Saguenay trouvent des forces dans leur communauté. Julie-Vanessa témoigne de l’entraide qui règne parmi les créateurs : « On partage des contacts, des idées, et on s’encourage. » Léa renchérit : « Notre communauté est un nid créatif, déménager ici en tant qu’artisane a été une des meilleures décisions que j’ai prises. » Le sentiment de communauté peut finalement s’élargir à l’ensemble de la population. Martin affirme : « Nous sommes une petite communauté tissée serrée, qui se soutient et s’entraide ».

Tous s’accordent pour dire que le cadre naturel joue un rôle primordial pour l’inspiration. « On a un décor époustouflant qui nourrit l’âme des artistes », poétise Julie-Vanessa. Kathlyn va même plus loin : « La nature c’est aussi une ressource. Je trouve des morceaux de bois, des pierres ou des feuilles que j’intègre dans mes pièces. »

La vie rurale, avec son coût de la vie plus bas, son accès facilité à la propriété, sa quiétude et son rythme saisonnier, permet aussi aux artisans de s’organiser. « L’hiver, c’est plus tranquille. On crée et on produit en prévision de l’été, où l’activité reprend de plus belle », explique Julie-Vanessa.

Des clés pour la pérennité

Pour assurer la viabilité de leurs entreprises, les artisans du Bas-Saguenay doivent porter plusieurs chapeaux : créateurs, gestionnaires, marketeurs et logisticiens. Selon Claudia,    « l’artisan doit tout faire par lui-même : produire, vendre, gérer la comptabilité. Ce n’est pas toujours évident. Il faut persévérer et bien s’entourer. »

La polyvalence est donc essentielle, tout comme la capacité à offrir un produit unique et de qualité. Émile insiste : « Être artisan requiert une certaine discipline. Les gens recherchent des pièces authentiques qu’on ne retrouve pas ailleurs. » Pour Kathlyn, le défi est également de maintenir une relation de proximité avec les clients : « Chaque pièce vendue crée un lien. Entretenir cette relation ajoute une valeur émotionnelle à nos créations. »

Pour soutenir les artisans, les communautés locales ont un rôle important à jouer. Les recommandations varient : aide à la recherche de subventions, création d’espaces de vente communautaires, signalisation aux bords des routes, promotion du savoir-faire local ou encore présence et positivisme. David suggère : « Avoir quelqu’un dans nos municipalités qui pourrait nous épauler dans les démarches administratives serait un vrai plus. »

Claudia propose la création d’une vitrine locale pour les artisans : « Si la communauté pouvait gérer un espace partagé de vente comme celui qu’on avait au quai, cela nous permettrait de rester dans nos ateliers pour nous concentrer sur la création. »

Malgré les embûches, les artisans du Bas-Saguenay continuent d’avancer, portés par leur passion, leur communauté et leur détermination. David le résume en s’adressant aux jeunes artisans qui rêveraient d’en faire leur métier : « Si tu crois en toi et en ton projet, tu peux y arriver. Vivre de son art est difficile, mais c’est extrêmement gratifiant. »