Julie-Vanessa Tremblay, Marielle Huard et Pascale Boudreault, respectivement 28, 29 et 28 ans, arborent fièrement leur nouvelle carte d’affaire, une belle lune de cuivre sur fond d’un ciel orangé de l’Anse-Saint-Jean. Leur coop Minuit moins cinq (couture, récupération textile, création) vient d’ouvrir ses portes.
Au commencement était Fefutte, une petite oie bien jolie que Julie-Vanessa Tremblay aimait tellement, à Saint-Fulgence, qu’elle aurait voulu l’avoir tout le temps avec elle y compris dans la maison. Pourquoi pas, lui dit sa mère, mais il faut régler la question des crottes. C’est ainsi qu’à 14 ans, Julie-Vanessa créa ses premiers patrons textiles. Elle se mit à coudre une première couche pour Fefutte, une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième, il fallait suivre le rythme car Fefutte grossissait vite. Quand elle atteignit sa taille adulte, son modèle de couche à boutons très perfectionné assorti d’une garde-robe bien adaptée à ses grosses pattes d’oie, avait valu à Fefutte de passer cinq fois dans le journal régional. Quant à Julie-Vanessa, la couture l’avait bel et bien attrapée.
Une histoire qui commence aux Îles de la Madeleine
De là à se lancer dans un projet professionnel, il n’y avait qu’un pont, franchi quelques années plus tard, aux Iles de la Madeleine, avec la création de Coop La Machine en 2012. Les vents de la vie ayant ramené la belle sur le continent, Julie-Vanessa dépose pelotes, aiguilles et talent à l’Anse-St-Jean en 2014. Et comme tous les chemins ou presque mènent au Bas-Saguenay, elle y rencontre Marielle Huard fraîchement arrivée d’un an de voyage, un beau jour d’automne juste avant d’entrer dans le rush des Salons métiers d’art. L’intérêt des régions excentrées, c’est d’offrir tout le temps pour faire connaissance avant d’atteindre la grande ville. De l’instant où elles ont posé ensemble le pied dans le camion pour partir en tournée salons jusqu’à leur retour et même… jusqu’à aujourd’hui, Julie-Vanessa et Marielle n’ont pas cessé de parler.
Quelques bobines de fil et des milliers de mots plus tard, elles installent un atelier dans une vaste salle claire du Centre Communautaire de la Petite École. Là, au milieu des boîtes, machines à coudre et fers à repasser, elles actionnent les ciseaux pour couper, tailler et recycler le beau linge dont le monde souhaite se débarrasser. Or beaucoup de monde souhaite se débarrasser de beaucoup de linge. Au gré des tissus, des idées et des saisons, naît ainsi une gamme d’accessoires qui, comme tous les accessoires, s’avèrent vite indispensables. De là à envisager l’aventure d’une nouvelle entreprise, il n’y avait qu’un fil bouclé cet hiver avec la création de la coopérative Minuit moins cinq. Rencontrée l’été dernier à l’Anse, Pascale Boudreault, nomade dans l’âme mais également native de la région, est arrivée juste à temps avec son background universitaire pour intégrer le projet.
Goûter la tranquillité d’un village entouré d’une nature magnifique, en œuvrant avec une équipe d’amies à faire une activité que l’on aime utile pour l’environnement, n’est-ce pas un rêve ?
Le trio de Minuit moins Cinq l’a réalisé, et cela n’empêche pas Pascale de continuer à faire la fête en ville. “Quand on sort dans les salons en milieu urbain, on parle de notre style de vie, de notre région, on a des photos de l’Anse, de nos poules, d’Antoinette l’oie de Marielle, des cabanes à pêche sur le fjord”, raconte Julie-Vanessa. “ Parfois le monde hallucine quand je dis qu’il me faut une demi-heure pour rentrer chez nous à pied ou en skidoo, ” renchérit Marielle. “Si on avait vécu en ville, là où il y a de la job avec des avantages sociaux, on ne se serait peut-être pas donné la peine de créer notre propre entreprise”, fait remarquer Pascale.
Une coopérative, c’est l’esprit d’équipe et le partage des responsabilités entre des membres autonomes avec des prises de décisions pour lesquelles chacun a la chance de dire son mot. Même si la mise en place du projet a fait figure de parcours du combattant, et même si le fonctionnement est un tantinet plus lourd côté administratif, elles tenaient à ce type de structure égalitaire qui permet à tous de se sentir impliqué. Toutes trois ont appris à s’organiser, chacune ayant son propre rythme – Marielle ne peut pas faire deux choses en même temps, Julie-Van ne peut pas faire une seule chose à la fois -, et ses manies propres régulées par le contenant du groupe. “Aujourd’hui, ça va comme dans du beurre !” disent-elles.
Pour preuve, les nouveautés qui surgissent régulièrement autour de la grande table de l’atelier : après les tuques Beanie and Clyde, le fameux Seigneur des Bandeaux (c’est souvent l’hiver à l’Anse) ou le confortable portefeuille M. Price (du nom de l’homme qui savait produire des dollars au Saguenay), sont apparus les petits sacs à collation en tissu imperméable certifié de grade alimentaire (destinés à clarifier la question des ziploc en fin de course), ou la chemise femme, seyante avec ses manches carreautées, issue du vieux linge récupéré de mononcle ou de moncousin. Sans oublier les tee-shirts brodés sur le vif par Julie-Vanessa qui dessine directement avec le fil de sa machine à coudre des motifs personnalisés à la demande. Ou comment offrir à son chum une pièce unique affichant sa private joke pour le prix d’une pièce standardisée.
Et si on parlait de consommation responsable !
Les salons (Chicoutimi, Rimouski, Québec, Montréal) représentent toujours l’occasion de sensibiliser le public à une consommation responsable. À quoi reconnaître une bonne fibre, comment enlever des tâches, huiler son zipper ou réparer son vêtement plutôt que de le jeter, autant de bons conseils diffusés par l’équipe. “Le linge des années 80-90 est encore de qualité, c’est beaucoup moins le cas pour les marques récentes; ça me fâche tout ce polyester chipette, laite et pas confortable,” dit Pascale qui rêve d’une petite usine textile de défibrage capable de reconditionner tout ce plastique en rouleaux pour faire du beau polar.
En attendant, elles aimeraient bien mettre en place un système de récupération de la masse vestimentaire du Bas-Saguenay avec les municipalités, histoire d’aider la planète à digérer les excès de nos déchets. “C’est un laboratoire de solutions pour le futur, dit Julie-Vanessa, d’ailleurs si notre coop s’appelle Minuit moins cinq, c’est parce qu’il y a urgence à agir en matière d’environnement et d’écologie, urgence à changer nos habitudes.”
Pour l’heure, ceux qui veulent donner une dernière chance à leurs vêtements sont invités à les déposer dans un grand bac en bois dans le couloir de la Petite Ecole. Et, si le cœur leur en dit, à passer dans l’atelier où l’on garde toujours exprès de petites tâches de côté : découdre des boutons, virer le linge, couper des étiquettes, il y en a pour tous les goûts pour la visite désœuvrée en mal de travaux manuels !
Les créations de Minuit moins cinq sont en vente à l’Anse-Saint-Jean aux Rebelles des bois ou à l’atelier même, disponibles en ligne sur le site Etsy et dans la boutique Twist à Chicoutimi et Arvida.