Chronique du 100e de Petit-Saguenay – Le village de compagnie de l’Anse Saint-Étienne

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Au début de la colonisation de Petit-Saguenay, le centre d’activité de la compagnie Price est basé à l’embouchure de la rivière Petit-Saguenay. À l’époque, toutefois, on ne récolte que du pin et le moulin à scie du poste de Petit-Saguenay est abandonné après moins d’une dizaine d’années d’exploitation. C’est le cas également pour les petits moulins à scie installés par la Société des Vingt-et-un dans l’Anse au Cheval et l’Anse aux Petites-Îles, qui, fermés une fois la ressource pin épuisée, avaient été vendus à Price en 1844.

Dans la deuxième partie du 19e siècle, toutefois, la coupe d’épinette prend le dessus et c’est dans ce contexte que la compagnie Price, qui contrôle toujours l’essentiel des concessions forestières du Bas-Saguenay, revient construire un moulin à scie du côté de l’Anse Saint-Étienne. À l’époque, on retrouve sur place quelques familles de pêcheurs, ainsi que les ruines d’un ancien moulin dont le promoteur demeure encore aujourd’hui un mystère. Ce nouveau moulin, qui entre en opération en 1883, est d’une ampleur considérable : il fonctionne à la vapeur et possède une puissance de 200 forces, ce qui en fait de facto la plus grande usine de ce type au Saguenay.

Toutes les installations sur place sont la propriété de la compagnie Price, qui établit ainsi le premier village de compagnie de la région, bien avant Val-Jalbert. Rapidement, on érige une trentaine de bâtiments sur place : des entrepôts, des magasins, des résidences et des maisons de chambres. Des églises et des quais sont également aménagés pour permettre le transport du bois. S’ajoutent ensuite deux écoles, une église, un presbytère et un cimetière. Le tout est alimenté par l’électricité produite par le moulin, par le télégraphe en provenance de Baie-Sainte-Catherine et séparé en deux quartiers : d’un côté le quartier ouvrier concentré autour du moulin à scie et de l’autre, le quartier des notables établi autour de l’église.

Entre 1883 et 1891, la population permanente sur place croît très rapidement pour atteindre 495 résidents. À cela s’ajoutent plus de 400 ouvriers répartis sur une vingtaine de chantiers dans l’arrière-pays pour assurer l’approvisionnement du moulin. À l’époque, cette population permanente en fait le principal village entre Tadoussac à La Baie. Après près d’une décennie à fonctionner à plein régime, on commence toutefois à atteindre les limites d’approvisionnement des forêts environnantes au début des années 1890, de sorte que l’on doit réduire considérablement la production du moulin à scie. À la fin du siècle, en 1899, l’Anse Saint-Étienne ne compte plus que 190 résidents permanents.

C’est durant ce déclin que survient un évènement tragique qui scelle le destin de l’établissement. Le 7 juin 1900, un feu d’abattis démarré par le cultivateur Benjamin Boudreault sur les hauteurs du rang Saint-Étienne se propage à la forêt et se répand à toute vitesse jusqu’au Saguenay. En deux heures, le quartier ouvrier, le moulin à scie, les quais, deux goélettes et l’essentiel de l’inventaire de bois sont détruits par les flammes. Seul le quartier de l’Anse des Messieurs et sa dizaine de résidences, son église et son presbytère sont épargnés. Les pertes sont considérables pour la compagnie Price, dont la valeur des actifs est évaluée à entre 300 000 $ et 400 000 $ de l’époque, soit autour de 10M $ aujourd’hui.

On loge les rescapés dans les résidences épargnées et les secours sont organisés rapidement par la compagnie et les autorités religieuses. Le lendemain, une goélette quitte Chicoutimi avec à son bord des vivres, des vêtements et des meubles pour les familles de l’Anse Saint-Étienne. Des dons en argent arrivent également de toutes parts pour permettre aux familles de se relocaliser. La compagnie Price, face à l’ampleur des dommages, décide pour sa part de ne pas reconstruire le village et démarre plutôt la construction d’un nouveau moulin à Baie-Sainte-Catherine. L’église et le quartier de l’Anse des Messieurs seront quant à eux démolis, les matériaux étant utilisés ailleurs par la compagnie.

Bien qu’abandonné par la compagnie, le site sera par la suite utilisé pour faire paitre des animaux de ferme ou pour opérer des petits moulins à scie, celui de la famille Perron de L’Anse-Saint-Jean et celui d’Elzéar Pelletier notamment. C’est l’acquisition du lot de la compagnie Price par la municipalité de Petit-Saguenay en 1970 pour la modique somme de 18 000 $, soit environ 120 000 $ en dollars d’aujourd’hui, qui mène à une renaissance du site via le développement touristique. Aujourd’hui, le Village-Vacances Petit-Saguenay qui est établi sur place est, comme le moulin de la compagnie Price à l’époque, le principal employeur du village. Les visiteurs, quant à eux, ne manquent pas de remarquer les vestiges des quais de croûte sur la plage et aux abords du ruisseau Saint-Étienne, les briques de l’ancien moulin qui sortent du sol ici et là, ainsi que la fondation de la corne de brume sur le bord du sentier de la Pinède.