Le Trait d’Union, un journal né d’un ancrage collaboratif 

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Jean Bergeron retrace ici les origines du Trait d'Union. Crédit photo : Cécile Hauchecorne

Entrevue avec Jean Bergeron réalisée par Juliette Charpentier

Nous ne pouvions pas faire un numéro sur la collaboration sans parler du Trait d’Union lui-même. Ça serait comme parler du lien entre nos villages sans la 170. En effet, le journal est né en 2004 avec le démarrage de la table de concertation jeunesse entre Rivière-Éternité, l’Anse-Saint-Jean et Petit-Saguenay, qui souhaitaient se doter d’un outil pour communiquer entre eux, mais aussi avec la population.

Pour tout connaître sur l’histoire du Trait d’Union, Cécile m’a missionnée d’interviewer Jean Bergeron. Je ne pensais pas que ça allait être une mission ardue. Entre le démontage de la scène du spectacle de Marguerite, l’entretien de sa bleuetière, les réunions du conseil municipal et quelques coups de mains donnés à ses amis des semences Saguenoises, c’est à bricoler sur son garage que j’ai réussi à l’attraper ! Une fois la discussion déclenchée cependant, la mission était devenue très facile, je n’avais plus qu’à l’écouter et voyager dans le temps. C’est avec fierté, passion et quelques pointes de nostalgie que Jean m’a expliqué toute l’histoire du Trait d’Union, notamment son ancrage rendu possible grâce à la collaboration établie entre les villages du Bas-Saguenay.

« Entre 1984 et 1989, plusieurs personnes vont s’en rappeler, on avait mis sur pied une communication appelée Écho Logique.

Au travers de cette revue, le comité de développement économique (CDE) de Petit-Saguenay visait à mettre en lumière les défis et les réalisations des gens du milieu de Petit-Saguenay en premier lieu, mais c’est rapidement devenu une publication régionale. Elle couvrait les deux rives du fjord du Saguenay, c’est-à-dire tous les villages de la zone périphérique du Parc du Saguenay. À l’époque, c’était vraiment ça notre territoire d’appartenance. Pendant 5 ans donc, à raison de 8 numéros par an, on a mis en lumière les défis et les réalisations des gens d’ici. On misait toujours sur l’aspect positif pour montrer qu’on est capable de relever des défis et de réaliser des choses importantes dans nos communautés reculées. Malheureusement, notre aventure s’est arrêtée en décembre 1989 faute de financement, suite à l’abolition du programme de financement gouvernemental qui s’adressait aux médias communautaires ».

Ainsi, l’Écho Logique s’est arrêté en décembre 1989, mais sur une note positive. En effet, « à cette période on assistait à la naissance du Parc du Saguenay et tout ce qui touche la concertation dans sa zone périphérique », m’explique Jean.

Première de couverture d’un numéro de l’Écho Logique

Après la disparition de l’Écho Logique, le CDE de Petit-Saguenay a poursuivi son travail. « C’était l’époque de l’implantation des fameux centres locaux de développement (CLD) qui voulaient donner des outils pour le développement local. Au lieu d’avoir un CLD à La Baie seulement, on avait imaginé un réseau d’agents de développement dans les 5 villages du Bas-Saguenay. Vers 1996, nous avions réussi à créer ce réseau. C’est une étape essentielle, à la compréhension de la naissance du Trait d’Union, qui a permis d’établir une collaboration entre les villages du Bas-Saguenay.

En effet, la table de concertation jeunesse était vraiment soutenue par le collectif des agents de développement du Bas-Saguenay.

Ainsi, quand les membres de la table de concertation jeunesse ont décidé de se donner un outil de communication qui rejoindrait nos 5 communautés, j’ai sorti ma pile de vieux Écho Logique et tout le monde a dit « Ben c’est quoi ça ? C’est don ben trippant !! ». C’est ainsi qu’exactement 20 ans après l’Écho Logique est né le Trait d’Union. »

Dans ses archives, Jean a même retrouvé un tableau d’indicateurs montés par la table de concertation pour suivre l’évolution de ses projets. La première ligne était celle du Trait d’Union. « Le journal était un succès. Nous avons rapidement considéré avoir atteint nos objectifs en termes de communication et de mobilisation. On a notamment eu un succès important à partir du moment où on travaillait avec les écoles et que du contenu parlait d’agents scolaires et d’élèves. »

« Il y a beaucoup de personnes qui ont écrit dans le Trait d’Union. Pour beaucoup, l’écriture ça a été une découverte, en particulier pour les étudiants. Y’a vraiment des plumes qui se sont découvertes au fil des éditions. Je me souviens notamment de Marie-Lou Saint-Pierre qui fait actuellement une carrière internationale, à qui on avait donné une chronique d’opinion appelée « les mo-dits de Marie-Lou ». Je me souviens aussi de Francis Morin qui nous écrivait des chroniques nature incroyables. Ça fait partie des anecdotes et de la petite vie du journal du Trait d’Union ! »

« On n’était pas tous des journalistes aguerris, loin de là, mais on avait le souci de parler de nos défis de manière accessible à tout le monde. Y’a jamais personne qui nous a dit «on comprend pas de quoi vous parlez là ». C’est un peu cette image de marque accessible et agréable à lire qui s’est imposée et qui perdure encore aujourd’hui. Cependant, aujourd’hui on peut aussi trouver des textes de 2 000 mots dans la section des « dossiers ». C’est quelque chose que Cécile a apporté de façon naturelle et qui plaît ! Ces deux styles son présents aujourd’hui et permettent de rejoindre tout le monde : les concis et les approfondis. En plus, c’est un bon défi pour les journalistes d’écrire un article de 2 000 mots et réussir à garder le lecteur en haleine. »

« J’ai quitté le comité de développement en 2014 et c’est Cécile, avec qui je travaillais déjà quand même depuis 2009, qui a pris le relai. J’étais tellement content de voir que le journal poursuivait sa route. Aujourd’hui, je suis vraiment fier de voir que le journal est toujours là, qu’il remplit un rôle important et sert d’outil pour approfondir nos réflexions, pour se donner une vision de développement en tant que communauté. »

Le Trait d’Union est presque à l’aube de son 20ème anniversaire. J’ai donc demandé à Jean pourquoi le Trait d’Union a poursuivi sa vie, là où l’Écho Logique s’était arrêté. « La différence entre les deux époques, c’est qu’il y a présentement une volonté locale de prendre en charge les outils de communication et de développement. À l’époque, je n’avais aucun soutien municipal. Je le faisais vivre uniquement avec les publicités, le financement du programme d’aides aux médias communautés et les revenus d’abonnements. Aujourd’hui, les municipalités ont compris que c’était important de soutenir les actions de développement.

Donc si le journal existe encore aujourd’hui c’est en grande partie grâce aux municipalités. ».

« On peut juste déplorer qu’il y ait un milieu qui nous ait lâché en cours de route… C’est dommage car l’apport et la contribution de Saint-Félix-d’Otis étaient importants au départ avec Anne-Lise Minier, qui était alors agente de développement. Mais on s’est quand même donné des ancrages au niveau de notre culture de concertation depuis les années 80 qui font qu’on est capables de continuer à travailler ensemble. On ne peut qu’espérer que cette collaboration de l’ensemble des villages se renforcisse. »

Lorsqu’il a entendu la bonne nouvelle que les villages de l’autre côté du Fjord allaient se joindre au Trait d’Union, Jean s’est tout de même posé quelques questions : « L’Écho logique lui rayonnait sur l’ensemble de ce territoire c’est vrai, mais aujourd’hui, je me demande c’est quoi notre ancrage territorial ? De plus, le format de 40 pages c’est le maximum que l’on peut faire, donc si on ajoute d’autres milieux, est-ce qu’on doit réduire les contenus ? C’est un défi que l’équipe de rédaction va devoir relever. En même temps, aujourd’hui il y a une relève qui est arrivée, qui s’installe et qui est en train de faire les choses à sa manière. C’est ça que je trouve extraordinaire dans un sens. ».

« Finalement, le journal a une très belle facture, chaque numéro est toujours très intéressant, notamment les derniers numéros. Puis ce n’est pas seulement moi qui le dis là ! Tout le monde trouve que c’est un média essentiel. Je me rappelle qu’à un moment donné y’a des journaux commerciaux qui ont voulu faire des hebdos et empiéter sur nos plates- bandes, il a fallu se battre. Mais aujourd’hui le Trait d’Union est encore là et pas les autres. On est un des seuls médias écrits qui arrivent à rejoindre tout le monde en région. Si on l’a encore aujourd’hui c’est entre autres parce qu’il y avait un ancrage de collaboration entre nos milieux, ça il ne faut pas l’oublier. »