L’automne avait été des plus courts et l’hiver s’était installé très tôt. Que fallait-il de plus pour un jeune garçon de 9 ans comme moi ! En voyant la terre se recouvrir d’un épais manteau blanc, je ne pouvais m’empêcher de penser à Noël.
Après avoir rentré les animaux dans l’étable, les avoir nourris, s’être assuré que le poêle ne manquerait pas de bûches pendant la nuit, voilà que, comme la marmotte et l’ours, l’hibernation ne saurait tarder pour l’habitant qui avait parcouru le territoire depuis le printemps.
Je suis le fils d’Élie Lavoie et de Julie-Anna Houde, et cette année-là, mon père travaillait dans les chantiers, du côté de Pikauba. Il était parti pendant plusieurs mois. Ma mère, elle s’occupait du ménage, de la ferme et de nous, les enfants.
J’ai un frère et trois sœurs. Comme nous n’avions pas de télévision, seule la radio transportait les nouvelles dans chaque maison. Il faut dire que nous ne possédions ni auto, ni téléphone et pas encore d’électricité. Notre seule sortie de la semaine dans ce temps-là, c’était d’assister à la messe le dimanche ou encore d’aller visiter de la parenté.
Si votre père fait un bon automne dans les chantiers, répétait souvent ma mère, le père Noël va vous apporter à chacun un beau jouet. Vous devinez bien que les pages du catalogue de Noël n’arrêtaient pas de tourner et que les jours pouvaient parfois être bien longs. C’était la seule occasion de l’année où un cadeau pouvait nous être offert.
Le soir, au retour de l’école, il fallait entrer le bois pour la nuit. Le traineau bien rempli, ma mère m’ouvrait la porte et j’entrais dans la maison avec la voiture à patins. Après 2 ou 3 voyages, on avait assez de bois pour chauffer la maisonnée. Il fallait ensuite retourner à l’étable vers 8 h du soir pour vérifier si tout était à l’ordre. Tout le monde se couchait vers 9 h et à 6 h du matin, on se levait pour réviser nos leçons et déjeuner.
Déjà décembre ressemblait à janvier tellement la neige était abondante. Il faut dire que les chemins n’étaient pas déneigés par la charrue, du moins dans le rang Saint Louis où je demeurais. Le cheval tirant son traineau était le seul moyen de transport entre le village et la maison.
Ce samedi-là, une semaine avant Noël, mon père m’emmena en raquettes à l’orée du bois choisir un sapin pour faire l’arbre de Noël. Ma mère l’installa dans un coin de la grande cuisine. J’avais préparé ma commande pour le père Noël, c’était un petit train que j’avais vu dans le catalogue. Ma mère avait travaillé toute la semaine afin que le réveillon avec la famille soit des plus réussis, cretons, pâtés à la viande, beignes, tourtière, sucre à la crème et décorations de Noël, voilà l’apparence que prenait la maison pour l’occasion.
Cet après-midi là, alors que je me glissais avec mon traineau de bois, ma mère me lança un cri : « Ti Gars, la radio vient d’annoncer que l’avion qui transportait le père Noël s’est écrasé. Il ne pourra pas faire sa tournée à minuit. » Elle demeura un bout de temps sur la galerie à attendre ma réaction, mais je ne pouvais pas répondre. Je me suis laissé tomber dans la neige et j’étais prêt à pleurer.
Pas de cadeau pour Noël, ce n’était pas possible, moi qui désirais tant le petit train. Je coupais court à la glissade et suis revenu à la maison tout désolé et triste. Ainsi aurait pu se terminer l’histoire du Noël de mon enfance.
Mais dans ce temps-là, on n’avait rien ou pas grand-chose, alors chaque nouveauté donnait un air merveilleux à la journée et le magnifique repas que ma mère avait préparé nous a tous fait oublié l’accident du père Noël !