Le télétravail au service de la ruralité ?

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Andrée-Anne Brillant lors d'une promenade avec son chien. Crédit photo : Philippe Robert

Le télétravail s’est imposé en force dans le contexte de la pandémie. En dehors de la contrainte, le télétravail contribue massivement à reconfigurer le marché du travail d’aujourd’hui. La flexibilité fait partie des bénéfices marginaux pour le travailleur, qui aspire à une meilleure qualité de vie, et les employeurs n’ont de choix que d’assouplir leurs politiques pour se démarquer et attirer la main-d’œuvre qui se fait parfois rare. De plus, le travailleur, de son côté, n’est plus nécessairement cantonné dans un rayon de 70 km de son domicile.

À cet égard, le télétravail peut s’avérer salutaire pour certaines petites municipalités qui avaient été désavantagées par les mutations de l’économie de la fin de l’ère industrielle vers la mondialisation. Comment est-ce que ces nouvelles dynamiques se reflètent au Bas-Saguenay? Discussion avec 4 télétravailleurs-euses entre Petit-Saguenay et L’Anse-Saint-Jean pour tirer profit de leur expérience.

Une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée

Philippe Robert et sa conjointe Andrée-Anne Brillant caressaient déjà le rêve de s’installer dans un village au sein d’une communauté accueillante et à proximité des lieux de plein air. La possibilité du télétravail n’a donc pas initié leur installation à Petit-Saguenay, mais cela « a certainement facilité la transition » partage Philippe, employé par le Grand Dialogue régional pour la transition et le parti municipal Unissons Saguenay. Lui et Andrée-Anne, qui travaille pour le CIUSSS du Bas-Saint-Laurent, apprécient le télétravail car il leur offre un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et familiale. « On peut profiter de nos pauses pour faire des tâches à la maison, ou aller faire une marche dehors. À Petit-Saguenay, ce qui aide, c’est que c’est un cadre intéressant pour travailler : je vois les montagnes et le milieu naturel autour de ma fenêtre, c’est inspirant. » témoigne Philippe. « On n’a pas à subir le trafic urbain de fin de la journée, on peut mettre directement nos chaussures et sortir promener les chiens par exemple ».

Philippe Robert et sa conjointe Andrée-Anne Brillant se sont installés récemment à Petit-Saguenay.

Le couple ne ressent pas la solitude puisque la journée, les deux se transforment en quelque sorte en collègues. Philippe, pour sa part, se déplace occasionnellement pour des rencontres en présentiel, comme on dit dans le milieu professionnel. Lorsque interrogé sur les services qui seraient adaptés à leur besoin, Philippe mentionne son intérêt pour un espace de cotravail, qui lui permettrait de rencontrer d’autres personnes en télétravail ou encore de partager des équipements de bureau comme une imprimante. Le véhicule électrique que la municipalité de Petit-Saguenay mettra à la disposition de la population représente également une alternative intéressante pour ses déplacements en ville, puisqu’il partage actuellement avec sa compagne un véhicule plutôt énergivore peu adapté à cet usage.

Créer du lien grâce au cotravail

Au Bas-Saguenay, le Café du Quai a ouvert son étage l’an dernier pour offrir un lieu confortable, notamment pour le télétravail.

Vincent Beauregard est coordonnateur d’une équipe technique de développement informatique au niveau de la recherche en biodiversité de l’Université de Sherbrooke. Son employeur est flexible, et bien qu’il privilégie les candidatures sur place, le télétravail est un moyen de recruter partout au Québec pour pallier le manque de main-d’œuvre. Pour Vincent, l’environnement et les relations de travail sont importants : « J’aime avoir un endroit dans lequel je me sens bien, et où je vais avoir le goût de passer 8h par jour. [En dehors du bureau], ce qui fonctionne bien pour moi, c’est d’avoir un espace de travail bien aménagé à la maison, ou un espace de cotravail convivial où je ne suis pas seul à longueur de journée. »

Il apprécie le télétravail pour la mobilité que cela lui confère. « C’est grâce à cette possibilité que j’ai pu passer un été à Petit-Saguenay! Pour moi, le télétravail, c’est aussi un outil pour rencontrer des gens, découvrir des lieux, faire connaissance avec les employés dans les cafés, aller manger une crème glacée après le travail », raconte Vincent. « S’approprier un nouvel endroit à travers l’expérience de mon lieu de travail, c’est super! », illustre-t-il. Celui-ci a donc eu l’occasion de tester plusieurs lieux dans les environs, et bien que l’accueil ait toujours été chaleureux, aucun n’était parfaitement adapté pour le télétravail sur une base quotidienne, que ce soit en raison de l’absence d’accès à internet, de luminosité, de tranquillité, ou encore à cause de la distance.

Ayant fréquenté quelques espaces de cotravail, Vincent considère que les conditions de réussite résident dans un environnement « qui a une âme », et donc où les gens ont envie de passer du temps. Comment faire, donc ? Selon le principal intéressé, ce n’est pas « seulement de faire des espaces de bureau, mais qu’il y ait une communauté de gens qui s’y trouvent et qui l’animent, idéalement dans un lieu qui soit convivial, lumineux, avec des plantes et un caractère propre. » Il cite par exemple le Jam Factory, à Nelson en Colombie-Britannique, où une entreprise s’est installée dans un espace plus grand que nécessaire et a loué les bureaux vacants aux télétravailleurs. Une personne était même employée à temps partiel pour s’occuper de l’espace et le rendre dynamique, et celui-ci était ouvert aux chiens, ce qui en faisait presque un lieu de zoothérapie pour les travailleurs. Le Moulin à Scie à Chicoutimi est un autre exemple de cotravail agréable cité en exemple par Vincent.

Télétravailler loin des grands centres

Au Bas-Saguenay, le Café du Quai a ouvert son étage l’an dernier pour offrir un lieu confortable, notamment pour le télétravail. Rejoint au téléphone à ce sujet, Sébastien Birot, propriétaire du restaurant, confirme avoir bien senti qu’il y avait un besoin pour le milieu. «C’est mon équipe qui a d’abord poussé pour ça, c’était une première pour nous, et en effet, ça crée une belle dynamique! On le remarque plus à l’automne, on est bien heureux de répondre à ce besoin et d’accueillir les travailleurs », constate Sébastien. Vincent a justement profité des installations au cours de son été saguenois, et également Catherine Picard, consultante en comptabilité numérique pour une compagnie basée à Saguenay et à Québec. « C’est ironique,  mais je me sens proche de mon équipe, malgré le télétravail. Je ne me sens pas toute seule chez nous, et j’apprécie la flexibilité de pouvoir vivre ma vie à travers ma journée, plutôt que de tout condenser le soir. » Pour des raisons de confidentialité, Catherine a besoin d’un espace privé pour s’acquitter de ses responsabilités, mais lorsqu’elle le peut, elle apprécie se déplacer dans un café pour le commun et la convivialité.

L’un des enjeux, c’est de s’assurer de garder une certaine rigueur à travers la flexibilité, « mais on y arrive! » assure Catherine. Un autre est de s’assurer de la santé et la sécurité au travail, même à domicile. Il demeure important de s’installer un espace de travail confortable et sécuritaire, car l’investissement en vaut la peine pour éviter des blessures liées à de mauvais positionnements au bureau. Cependant, qui fournit le matériel adéquat ? Cela dépend de s’il s’agit d’un travailleur autonome ou d’un employeur, et de ses politiques ou de sa capacité. Catherine a récemment fait un appel public sur les réseaux sociaux pour partager les coûts d’une consultation en ergothérapie, les coûts de déplacement de la ville vers le Bas-Saguenay étant plus élevés que ceux de la consultation. Comme dans bien d’autres domaines de la vie, l’entraide et la collaboration sont bien pratiques dans un milieu éloigné des grands centres.

Finalement, le télétravail comporte plusieurs avantages pour celles et ceux qui peuvent en profiter, notamment une meilleure conciliation de la vie privée et professionnelle et une liberté quant aux lieux où s’exerce le travail. Cependant, de l’autre côté de la médaille, le télétravail comporte ses défis, et certains sont spécifiques au contexte de la région. Est-ce que le besoin est suffisamment grand pour un lieu dédié au cotravail au Bas-Saguenay? Peut-être à l’horizon, puisque tout porte à croire que le télétravail continuera de donner la possibilité aux travailleurs de s’installer dans un environnement comme le nôtre.