Magella Gilbert est née le 13 de mars en 1929 à la maison, un médecin était descendu pour accompagner sa mère lors de l’accouchement. Ses parents, Henri Gilbert et Jeana Gauthier, avaient leur ferme à L’Anse à la Croix, là où s’est construit le Site de la Nlle France. « J’étais une prématurée, je pesais un peu plus d’une livre. On m’a élevée dans le four ! » … Quoi ?!… « Ben dans le four, ils ouvraient le panneau du poêle à bois, ils me mettaient sur la tablette là, bien au chaud, dans une petite boîte de carton. Ma grand-mère, quand elle nous le contait, ça loupait pas, à chaque fois elle pleurait ! 1 livre et demi à la naissance, imagine, c’est pas gros ! J’avais juste 5 mois de grossesse et là j’en ai eu 88 ans ! Tu vois comment ça a ben faite ! Nourrie à maman. Le lait, elle le pompait, et elle avait un compte-goutte, elle m’en donnait 2 ou 3. Il était tout petit mon estomac ! Et après, ça pas été long, j’ai profité ! »
De son enfance au bord du fjord, Magella n’a que de beaux souvenirs. Le soir de Noël, elle se rappelle très bien, ils allaient dans une carriole tirée par des chevaux sur le Saguenay. Avec ses deux frères, ils étaient bien installés sous des couvertes, avec des briques chaudes. Puis la famille débarquait dans la batture, juste à la pointe à Baillon, là où le Saguenay était ouvert et que cela devenait trop dangereux pour les chevaux. Le soir, ils visitaient la grand-mère qui habitait La Baie et après tout le monde s’en allait à la messe de minuit. Et ils revenaient chez eux le soir même, sous les étoiles, avec les cadeaux de la grand-mère sous les couvertes, pour arriver aux petites heures du matin à la maison.
« Les plus beaux moments dont je me rappelle c’est quand j’étais avec mon père et ma mère. C’était bon, on pouvait pas avoir mieux que ça. Il y avait une belle ambiance avec mes oncles, mes tantes, il y avait toujours beaucoup de monde dans la maison, beaucoup d’amour aussi, on s’entraidait. C’était beau à vivre. C’est la plus grande richesse qu’il peut y avoir au monde, de se tenir ensemble. Je trouve ça triste toutes ces personnes âgées seules. Ici, à Saint-Félix, j’ai pas rien que mes enfants, le monde de la place, ils savent que j’ai été à l’hôpital cet été, ils me demandent des nouvelles, c’est fin ! Quand je joue au sac de sable, ils vont ramasser mes poches ! Imagine … la chaleur humaine ! On est tous unis, ensemble ! »
C’est à la barrière du Site de la Nlle France que se trouvait l’école dans le temps. Il fallait marcher tous les jours pour s’y rendre. Les jours de congé, Magella et ses deux frères montaient la côte sur le bord de la rivière à la Croix, tout le long en pêchant de belles grosses truites. « Je me souviens j’étripais la truite avec mon couteau de poche, pour donner moins d’ouvrage à ma mère et parce qu’on n’avait pas l’eau courante dans la maison. Quand la truite était plus grosse, maman la salait, elle la coupait sur le dos, puis la déposait sur un rang de sel dans des sciots de bois. Mon père allait de temps en temps en ville, à La Baie. Il allait chercher de la farine, du sucre, des barils de mélasse, mais à part de ça, on avait tout ce qu’il fallait à la maison. On encanait, on salait notre truite, on salait le porc, mon père faisait du bacon, le faisait boucaner. On avait une chambre froide pour l’été. Maman ramassait des sciots de petites fraises, et moi j’ai fait pareil en élevant ma famille. J’ai essayé cette année d’aller en récolter mais j’ai été capable rien qu’une ½ livre. »
Le père de Magella défrichait la terre, faisait son bois. Et les enfants, quand ils arrivaient de l’école et qu’ils étaient assez vieux, ils attelaient les chevaux et ils allaient chercher leur père le soir dans le bois, pour descendre le voyage de bois qu’il avait fait dans la journée. Après ça, la journée était pas finie, ils tiraient les vaches, l’hiver ils allaient chercher de l’eau sur le Saguenay pour les animaux. « On avait pas besoin de la saler de même ! On vivait avec ce qu’on avait tout autour ! Aujourd’hui, c’est une autre façon de vivre, les gens ne savent pas toujours se débrouiller aussi bien avec la nature. »
« Mon mari, Isoland Claveau, c’était tout un personnage. Il a même été le chauffeur de la jeune Marina Orsini, quand elle jouait dans la série Shehaweh, à Sainte-Rose du-Nord. Moi j’avais 18 ans quand je l’ai rencontré, il m’emmenait les lettres de mon chum de La Baie. Il avait le bureau de poste chez eux et puis nous autres, on ne montait pas souvent, fait qu’il venait porter la malle, et quand il arrivait, il baraudait autour, pis à un moment donné, ça a faite. Dans ce temps-là c’était terrible, on ne pouvait pas sortir. On s’est fréquentés près d’un an et je me suis mariée le 22 juillet 1948, à 19 ans. Le voyage de noces a commencé par St-Siméon. C’est la première fois que j’embarquais toute seule avec mon chum ! C’était bien je trouve, pour nous autres, c’était nouveau. Aujourd’hui, on dirait qu’il n’y a plus rien de nouveau. »
Le lendemain matin, les amoureux prenaient le bateau de ligne pour monter à Québec. C’était la première fois que Magella se rendait dans cette ville. Ils y ont passé une semaine de rêve avant de reprendre le bateau vers le Saguenay. « Tout le monde nous attendait, ils avaient loué une grande salle, et là c’était une veillée de danse. »
Après avoir noté sa fameuse recette de pâté à la truite, j’ai laissé Magella qui s’en allait retrouver ses petits amis de l’autre bord de la rue, ceux qui fréquentent le service de garde de sa nièce Sylvie. Tous les jours, elle va leur rendre visite, prend souvent une marche avec eux et dit que c’est ça qui la tient en forme. Je crois que je vais prendre cette recette là aussi, parce que ma foi, elle a l’air de fonctionner à merveille !