À l’époque où Madame Carmen est née, il n’y avait pas encore de docteur, ni de garde malade à Rivière-Éternité. Sa mère, Marie-Anna Bergeron, s’est donc rendue en voiture à cheval à L’Anse-Saint-Jean pour accoucher. C’était le 22 juin 1934 et on se doute que c’est son mari, Aquilas Bouchard, qui menait l’attelage.
Les parents de la petite Carmen faisaient partie des premières familles établies à Rivière-Éternité. La plupart venaient de L’Anse-Saint-Jean où ils commençaient à manquer de bonnes terres. « Au départ, les hommes bâtissaient des camps, il y avait juste du bois rond, pas encore de moulin à scie. On mettait de la mousse entre les billots pour faire l’isolation », se souvient Carmen.
C’est sur la rue Notre-Dame qu’elle a passé son enfance. « Pour l’hiver, on faisait des réserves chez Charles-Édouard Boudreault, un marchand de Rivière-Éternité. Les chemins n’étaient pas ouverts, alors on faisait des provisions ! Je me rappelle, il y avait toujours un baril de pommes dans lequel on pouvait se servir sans le demander à nos parents. »
C’est également avec le camion de Charles-Édouard que les enfants montaient à Saint-Félix pour leur première communion. Il installait des ridelles pour perdre personne en route, et tout le monde embarquait dans la boîte. Le transport se faisait ainsi joyeusement. Arrivés sur place, les enfants s’habillaient tout en blanc et on se préparait à rencontrer l’évêque, qui ne descendait pas jusqu’à Rivière-Éternité. On disait la messe en latin dans ce temps-là et l’église était pleine !
Les années d’école se déroulaient dans le coin de chez Jacques Gagné, l’actuel garage, qui était alors une chapelle. « J’ai quitté l’école à 14 ans, ma grande sœur Georgette venait de se marier et ma mère avait besoin d’aide à la maison. C’était notre vie. On acceptait ça de même ! »
Aquilas, le père de Carmen, était bûcheron. Il avait une terre et un moulin à scie en avant de la maison, de l’autre côté du chemin, et tous les soirs il rentrait pour souper. « Le bois qui était cordé, on catinait dans ça ! On appelait ça catiner quand on jouait avec nos poupées ! »
Marie-Anna, sa mère, a fait de nombreuses fausses couches. Elle a donc décidé d’adopter en faisant le vœu de garder son bébé. C’est ainsi qu’elle a élevé Thérèse Bouchard, de L’Anse-Saint-Jean, dont la mère était décédée en couches. Par la suite, elle a eu neuf enfants, 3 garçons et 6 filles.
Le mari de madame Carmen, Marius Gaudreault, avait 12 ans quand il est arrivé de L’Anse-Saint-Jean avec sa famille. Il a toujours travaillé avec son père Herménégilde. Ils ont bâti ensemble la grande maison rouge dans le détour, en face du magasin à Charles-Édouard Boudreault justement. Dans le sous-sol se trouvait une boutique à bois, une boutique de forge, et en haut, c’était le bureau de poste et le restaurant, avec des tables de pool.
« Quand je servais la messe à L’Anse, le curé Bouchard me donnait un beau 10 cents. Avec ça, je payais le lait à mes parents pour la fin de semaine. », raconte fièrement Marius ! S’il n’est pas resté très longtemps, lui non plus, à l’école, cela ne l’a pas empêché de travailler toute sa vie et d’exercer mille et un métiers. Opérateur de machinerie lourde pour la Donahue, conducteur de camion, garagiste, chauffeur d’autobus scolaire, chef-cuisinier, constructeur de cabane à pêche, il ne s’arrête que rarement. À 87 ans, Marius vient de finir une autre belle saison de pêche blanche.
« En 1988, on a fermé la cantine qu’on opérait l’été depuis 13 années sur la route 170. Ça faisait la file chez nous, les gens de la place aimaient venir se chercher des frites. Mais on voulait changer, alors on a ouvert un restaurant sur la rue Notre-Dame. Pendant cinq années, de nombreux touristes s’arrêtaient là. On avait du poisson, beaucoup de sébastes. Les pêcheurs apportaient leurs prises et j’avais une friteuse spécialement pour ça ! Dès fois, on pouvait servir jusqu’à 125 déjeuners le matin ! », se rappelle Marius. À cette époque, le parc Saguenay existait déjà, mais il y avait aussi une dizaine de chalets qui étaient loués et qui appartenaient à la Société de Développement.
« Quand tu pars d’une place que tu aimes, faut pas que tu regrettes. J’avais 60 ans et je faisais de sacrées grosses journées, de 7 heures le matin à tard dans la nuit. », explique Marius qui ne s’est pas arrêté de grouiller pour autant !
La pêche, notamment au 4e lac à Denis l’été et sur le fjord l’hiver, reste un de ses passe-temps favoris ! Il s’est aussi mis à construire des cabanes à pêche pour la famille. « C’est Carmen qui m’aidait à lever les murs ! Et si vous pouviez goûter sa soupe aux sébastes… un vrai bonheur ! » s’exclame Marius.
Celui qui est resté 17 ans président de l’Association de pêche blanche est intarissable sur le sujet. Il parait même qu’à chaque fin de saison de pêche, il déprime un peu ! « C’est mon sport, je descends en motoneige tous les jours sur le fjord. Cette année, on était 38 cabanes. Pendant 10 ans de temps, j’avais une petite cabane 4X8, pour pêcher au loin. Mais cet automne je l’ai vendue et je pêche avec mes garçons, on se tient tous ensemble dans le même coin ! »
Le couple fêtera ses 65 années de mariage cet été. Ce furent les premières noces célébrées, le 14 juillet 1954, dans la nouvelle église de Rivière-Éternité. On dirait que cela leur a donné bien de l’énergie pour vivre de beaux projets de vie !